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L’ensemble des œuvres que Breker modela à Paris, dans son atelier de la rue de Navarin et à Milly-la-Forêt, en 1962 et 1963 — un buste, une statue, le moulage des mains de Cocteau, ainsi que le buste de Jean Marais — fut une sorte d’aboutissement, tant pour le sculpteur que pour le poète, amis de longue date. La première œuvre que Cocteau inspira à Breker, ce fut une statuette de 37 cm de haut. Frappé, lors de leurs retrouvailles, après guerre, par la silhouette singulièrement émaciée du poète, Breker s’était surpris à lui trouver une apparence de prophète. Après avoir obtenu l’accord de Cocteau, Breker s’était donc mis au travail durant l’hiver 1962-63, renouant avec son style de la fin des années vingt. Mais c’est au mouvement des bras et à l’expression des mains que Breker accorde sans doute le plus d’attention, y retravaillant encore des années plus tard, lorsqu’une version en un mètre quinze de la statuette sera fondue.

Inscription sur la tombe de Jean Cocteau
en
la chapelle Saint-Blaise-des-Simples

Les mains du poète, par Arno Breker

 

La santé de Cocteau ne cessant de se dégrader, après une nouvelle crise cardiaque en avril 1963, l’urgence de modeler son portrait s’imposa à Breker. Au début de l’été, il se rendit donc à Milly où, après quelques semaines de convalescence chez Jean Marais, Cocteau venait de rentrer en compagnie d’Edouard Dermit.

Arno Breker observera que Jean Cocteau n’avait rien perdu de sa vitalité intellectuelle, ne cessant durant les séances de pose d’exprimer des réflexions sur les sujets les plus divers, comme si le pressentiment de sa fin prochaine l’avait incité à « franchir toutes les barricades ».

« C’était un visionnaire qui se tenait devant moi, animé d’un souci profond à l’endroit de notre planète et des Hommes, hanté par l’idée de la fin proche de notre culture. Il me déclara un jour : “Nous devons mettre un frein à cette tendance si terrible qui conduit notre époque à tout détruire, à tout casser, et nous efforcer d’établir de nouvelles relations, positives, avec l’univers, avec la Création.” »

 

Ni Claude Arnaud, dans sa monumentale biographie de Cocteau,
ni les auteurs de l'album de la Pléiade consacré à Cocteau
n'ont trouvé le moyen de signaler que le buste modelé par Arno Breker
figurait sur la tombe du poète, à Milly la Forêt.
Extraordinaire, non?

 

LE SALUT A BREKER
PAR
JEAN COCTEAU

« Je vous salue, Breker. Je vous salue de la haute patrie des poètes, patrie où les poètes n'existent pas, sauf dans la mesure où chacun y apporte le trésor du travail national.

Je vous salue, parce que vous réhabilitez les milles reliefs dont un arbre compose sa grandeur. Parce que vous regardez vos modèles comme des arbres et que, loin de sacrifier aux volumes, vous douez vos bronzes et vos plâtres d'une sève délicate qui tourmente le bouclier d'Achille de leurs genoux, qui fait battre le système fluvial de leurs veines, qui frise le chèvrefeuille de leurs cheveux.

Parce que vous inventez un nouveau piège où se prendra l'esthétisme, ennemi des énigmes.
      Parce que vous rendez le droit de vivre aux statues mystérieuses de nos jardins publics.
      Parce que, sous le clair de lune, véritable soleil des statues, j'imagine vos personnages arrivant une nuit de printemps, place de la Concorde, avec le pas terrible de la Vénus d'Ille.

Parce que la grande main du David de Michel-Ange vous a montré votre route.

Parce que, dans la haute patrie où nous sommes compatriotes, vous me parlez de la France.