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Vous avez dit « art nazi » ?

 
 
 
 

«Encore heureux qu'Adolf n'était pas trop friand d'escalopes viennoises!...»

Hans Hollein

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Rien n'y aura fait - ni les déclarations d'un Jean Cocteau, ni celles du grand sculpteur abstrait Henry Moore (1898/1986), ni celles de Salvador Dali ou celles du peintre juif autrichien Ernst Fuchs, ni les protestations de dizaines d'autres artistes, hommes ou femmes de Lettres fort peu soupçonnables de sympathies à l'égard de l'extrême droite et moins encore à l'égard du nazisme : Breker demeura jusqu'à la fin de sa vie - et demeure encore aujourd'hui -, un "sculpteur nazi", le sculpteur d'Hitler.

     Il ne saurait être question ici de contester à qui que ce soit le droit de ne pas apprécier le style de sculptures que modelait Arno Breker. Affaire de goût et de sensibilité... Le débat ne saurait se situer sur ce terrain. C'est sur le terrain de la valeur artistique objective des oeuvres de Breker que vous souhaiterions appeler ici à situer le débat. Ce qui revient à dire que la première des injustices dont est victime Arno Breker consiste à discuter de la valeur (ou de la non-valeur) artistique de ses oeuvres, en faisant appel à des arguments qui n'ont rien avoir avec l'art ! Et si l'on veut défendre l'idée qu'il ne saurait y avoir débat sur la valeur d'une oeuvre sans que la personnalité de l'artiste, ses engagements politiques, le comportement moral qui fut le sien de son vivant ne soient pris en compte, alors : Pourquoi Breker et pas d'autres ?

     On pourrait pointer ici du doigt un Chostakovitch, notamment, qui vécut un peu le même genre de situation que Breker... Mais, bon, la liste serait longue, si on commençait à l'établir, des artistes de génie - peintres, compositeurs, romanciers et même philosophes -, admirés sans réserve aujourd'hui, qui ont eu en leur temps un comportement, des engagements, une personnalité fort peu recommandables tant sur un plan social que politique... Et puis, qui peut s'ériger en Juges Moralisateurs ? Qui peut se prétendre suffisamment blanc pour jeter de la sorte l'opprobre sur d'autres hommes. Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre...

     Mais le plus terrible, en ce qui concerne Arno Breker, c'est que ce n'est pas tant le comportement de l'homme, durant le IIIe Reich, qui est mis en accusation (il ne fut reconnu responsable d'aucun crime par les autorités chargées de la dénazification en Allemagne, après guerre !), que ses oeuvres même, accusées de propager on ne sait quel "message nazi"! - Un message, notons-le bien, que les éminents artistes cités ci-dessus auront été décidément incapables de déceler... Sinon, comment expliquer qu'ils aient pris la défense de Breker et aient admiré ses oeuvres ? Quelque chose ici ne fonctionne pas.

     C'est que, peut-être, le cœur du problème ne se situe pas dans le fait que Breker ait été un artiste médiocre, mais précisément qu'il ait été un artiste de grand talent. Car s'il avait été un artiste médiocre, quel besoin aurait-on eu de l'attaquer comme il le fut, comme il l'est toujours ? Quel besoin aurait-on de déclarer, aujourd'hui encore, que son oeuvre est dénuée de tout intérêt ? Le simple fait que Breker soit aujourd'hui encore considéré pour ainsi dire comme un "artiste tabou" tend à démontrer la puissance de son oeuvre. Car ce qu'il y a là d'inadmissible c'est qu'un artiste de talent ait pu être reconnu et admiré par Hitler... Comme l'a déclaré il y a quelques années de cela l'architecte Hans Hollein à propos d'Albert Speer : « Encore heureux qu'Hitler n'était pas trop friand d'escalopes viennoises, sinon elles seraient frappées dans ce pays de la même interdiction que l'architecture classique... » Ou que la sculpture classique - ou que la musique tonale ou que...

     Ce qu'on oublie ou ce qu'on veut oublier de la sorte, c'est qu'en faisant cadeau à Hitler de tout ce qu'il a pu admirer, on lui concède un certain type de victoire posthume sur nous. Car la plus grande victoire, la plus définitive, que nous aurions pu remporter sur lui, eût consister à récupérer à notre profit ce qu'il avait porté aux nues. Installer une statue de Breker devant le Parlement Européen, voilà sans doute qui aurait signifié, non pas notre oubli du passé, mais notre victoire sur lui - notre capacité à différencier le positif du négatif dans notre part d'ombre.

     Au lieu de cela, on préfère décréter que Breker ne fut pas un artiste et que ses oeuvres ne sont pas des oeuvres d'art - je n'invente rien ; des directeurs de musées allemands l'ont fait savoir, il y a quelques années de cela. Un psychanalyste qualifierait une telle tendance, chez un patient, de « schizophrénique », - la schizophrénie étant, comme chacun sait, une forme particulièrement grave de psychose.

     Et le débat devient alors beaucoup plus passionnant; dans la mesure où l'on peut légitiment se demander de quelle psychose Breker est donc le signe...

© Philippe Hemsen, octobre 1999


 
 
 
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